Peindre.

Je n’ai pas vu Sofiane depuis plus de 10 jours. C’est une éternité. J’y pense, il est vrai que je n’ai jamais été séparée de lui plus de 10 jours. C’est beaucoup trop. Je pense à lui. Là, maintenant, en terminant un très joli livre. J’ai besoin de douceur. Je suis certaine qu’il aurait aimé me faire découvrir cet ouvrage poétique, on entend des notes ici et là, on les lit et on les écoute.

Extrait de l'Homme-Joie de Christian Bobin

Extrait de l’Homme-Joie de Christian Bobin

Et puis, il y a ce chapitre sur Soulages. Et comme Sofiane me manque, je pleure. Parce que Sofiane adorait que je peigne, il adorait me voir peindre dans notre minuscule cuisine, il me regardait mélanger les épices et les huiles, et ça le faisait rire de me voir « mijoter ».

Il riait beaucoup mais j’étais trop perturbée par mes travaux pour le suivre… je regrette. Il était impliqué par ma démarche, de temps à autres, il me renseignait beaucoup sur Soulages , Rothko et d’autres peintres du même registre. Il revenait parfois avec des coupures de presse pour « enrichir mon imaginaire », me disait-il. Avant son accident, je peignais beaucoup, et ensuite sont venues les quelques expositions à Paris. C’était arrivé à moi comme un évidence. Je devais peindre. C’est tout. Sofiane trouvait cela courageux. Il me disait:

Peindre c’est beaucoup plus profond qu’écrire car les couleurs et les formes ont leurs codes, elles s’expriment dans une langue universelle dont personne ne connait les origines exactes. 

Toile Numéro 12 Souad Fejri Gojif.

Toile Numéro 12 Souad Fejri Gojif.

Mes tableaux sont vivants mais ce qu’on ne sait pas c’est qu’ils peuvent être ou devenir. Ils évoluent, gratifiés d’une vie sans cesse renouvelée. Les huiles et les épices marocaines se mélangent, se fixent à la toile blanche qui les boit, modifiant à mesure que le temps passe les textures et l’allure de chaque composition qu’il s’agisse de leurs odeurs ou de leurs couleurs. Mes travaux était de prime abord une vison dans un monde ensoleillé et enjoué … pour ensuite ressentir la profondeur et le spleen d’une femme qui pansait ses plaies.

La toile c’était une partie de moi, de ma chaire qui s’épuisait et s’essoufflait dans mon corps, mais qui criait dans une peinture éclatante toute la force, la vitalité, la violence, la douleur de mon être. 

Mes tableaux sont vivants mais ce qu’on ne sait pas c’est qu’ils peuvent être ou devenir. Ils évoluent, gratifiés d’une vie sans cesse renouvelée. Les huiles et les épices marocaines se mélangent, se fixent à la toile blanche qui les boit, modifiant à mesure que le temps passe les textures et l’allure de chaque composition, qu’il s’agisse de leurs odeurs ou de leurs couleurs. Mes travaux étaient de prime abord une vison dans un monde ensoleillé et enjoué, pour ensuite ressentir la profondeur et le spleen d’une femme qui pansait ses plaies.

La toile, c’était une partie de moi, de ma chair qui s’épuisait et s’essoufflait dans mon corps, mais qui criait dans une peinture éclatante toute la force, la vitalité, la violence, la douleur de mon être. 

Aujourd’hui, j’ai envie de peindre mais, même la peinture et les matériaux que j’utilise et qui auparavant m’exprimaient, n’auront plus de sens. Je ne sais plus quoi en faire. Je ne suis plus la même. je n’ai plus la même violence en moi. Je ne m’en veux plus. Je ne me violente plus. Je m’aime aujourd’hui. Je m’aime grâce à Sofiane. Je vois dans ses yeux le reflet de l’Amour. Si je peins, ce ne sera plus en pleurant de douleur. 

Aujourd’hui, si je peins, c’est la douleur, la violence de ma vie oui, mais le travail ne s’achèvera jamais sur ces notes. Il y a beaucoup trop de Vie en moi aujourd’hui pour que les notes soient sombres. Elles seront lumineuses et précieuses.

Aujourd’hui, si je peins, ce ne sera plus pour panser des plaies mais pour les soigner avec douceur. 

Aujourd’hui, si je peins, ce sera la Vie et les milliards de « particules alimentaires » d’amour que ne ne voyons plus, les épices seront là pour nous le rappeler.

L’aimante.